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Toxinet : le blox du tox

Marc, c’est ce qui était écrit sur ma carte d’identité du temps où j’en avais encore une, alias Marco à l’époque où j’avais encore des proches et que j’étais suffisamment aimé pour qu’on ait envie de m’affubler d’un surnom affectueux. Aujourd’hui, personne n’éprouve le besoin de m’appeler par un nom, un prénom ou un surnom. Au mieux, je suis la p’tite merde de mon dealer et j’avoue que c’est ainsi aussi que je pense à moi, quand il m’arrive de penser à moi. C’est un phénomène assez nouveau, j’ai vécu longtemps sans penser à quoi que ce soit et encore moins à moi ou à ce que je suis, on va appeler cela un instinct de survie psychologique… Sauf que récemment, deux neurones ont dû se court-circuiter et ont remis mon cerveau en route, la machine à réfléchir fonctionne à nouveau. Quand un engin pareil n’a pas servi depuis longtemps, il est grippé, il grince, il est rouillé de partout, et c’est moi qui dérouille. Je repense au passé, je regarde ce qu’il se passe autour de moi et je ne me contente pas de voir, je cogite. Journaleux de mon métier dans une autre vie, je ne peux pas garder pour moi ce que mon cerveau malade, intoxiqué et en manque de relations sociales peut accoucher. J’ai un besoin nouveau qui se fait sentir, un besoin d’écrire, un besoin de témoigner, de partager. Alors, ici, ce ne sera pas Marc, ni Marco, ce ne sera pas p'tite merde non plus, mais ce sera SDFblogger !

NAnanère !

Publié le 15 Novembre 2015 par SDFblogger in DROGUE, et moi...

Hier en fin d’après-midi, sur les conseils d'une connaissance virtuelle (et oui, j'ai des connaissances virtuelles, maintenant) et surtout parce que mon entêtement à refuser cette démarche alors que je clame haut et fort que je suis en mal d’écoute, de partage et d’échange devient plutôt paradoxal, je me suis rendu à une réunion des NA.
Les NA, pour les non-initiés, ce sont les Narcotiques Anonymes. C’est le même principe et mode de fonctionnement que les Alcooliques Anonymes mais centrés sur la drogue.
C’était mon deuxième essai. La première fois, je n’avais pas réellement pris les choses au sérieux et j’étais resté bloqué par les règles de base, à savoir ne pas venir défoncé ou en manque trop évident. Je ne supporte pas l’autorité et les règles, je n’étais pas motivé, ça avait suffi à me décourager.
Hier, j’avais fait les choses bien, je voulais vraiment me et leur donner une chance pour que ça fonctionne, je voulais rencontrer des gens.
J’étais à deux heures d’un fix correct mais pas trop tassé, j’étais bien, capable de fonctionner normalement. J’avais même fait un brin de toilette, une tentative de domptage de ma tignasse, une coupe sur quelques mèches rebelles et un brossage de pantalon. J’avais posé mon sac devant Joe et je me trouvais motivé malgré les mains moites et l’agitation de mon cerveau.
J’arrive là-bas : en avance. Je suis à fond pour que ça se passe bien. Une affichette rappelle l’heure, j’ai le temps, je passe aux toilettes. Une autre affichette rappelle les règles d’utilisation des toilettes : les lavabos sont faits pour se laver les mains et pas autre chose. Bon, déjà ça me refroidit mais comme je n’avais pas l’intention de prendre une douche ou de faire ma lessive, je décide de ne pas m’arrêter là-dessus. Je profite donc du savon pour me laver les mains qui en ont bien besoin et je bois un bon coup pour essayer de me calmer.
Le temps passe, les gens commencent à arriver et la salle nous est ouverte.
Mon choix vestimentaire détonne. Les gens forment de petits groupes de trois ou quatre. J’ai des regards en coin mais je vais les mettre sur le compte de la découverte du « nouveau ». J’essaie de rester positif mais il fait chaud et je commence à ne plus me sentir aussi bien. Je réfléchis trop, trop vite, je vais me dégonfler.
Quelqu’un vient stopper l’engrenage, se présente et m’accueille officiellement. Une femme nous rejoint, elle me propose un café, ma respiration se calme, j’accepte le café. Elle me tend la boîte de sucres, j’en prends une poignée que je lâche dans mon gobelet. Ca gicle, les conversations s’arrêtent, les yeux se tournent vers moi. Et merde, visiblement, au-delà de trois sucres, ça ne se fait pas…
Je suis sauvé par le « leader » (on m’expliquera plus tard qu’il n’est pas vraiment leader mais c’est lui qui dirige cette réunion, quelqu’un l’appellera modérateur) qui bat le rappel des troupes et tout le monde s’installe autour d’une grande table. Comme j’hésite, je suis gentiment poussé par l’homme et la femme qui m’ont accueilli. Je fais un tour de table : six hommes dont le leader, quatre femmes et moi.
Les conversations se taisent, les rires s’éteignent, on passe aux choses sérieuses. Le leader lit une feuille, j’ai l’impression que c’est un rituel, il présente les NA. L’objectif, le choix volontaire, etc… et la règle essentielle : « la seule condition pour être membre de Narcotiques Anonymes est le désir d’arrêter de consommer ». J’ordonne à mes pieds de rester à leur place et à mes fesses de ne pas se lever mais mon cerveau, lui, semble grippé sur le mantra « qu’est-ce que je fous là, qu’est-ce que je fous là, qu’est-ce que je fous là ? »
D’aussi profond que je m’enfonce, je sens quand même les regards se tourner vers moi, le « leader » m’a parlé. Il se répète, aujourd’hui, le groupe accueille une nouvelle personne, il me demande mon prénom. Je bafouille Marc, je ne sais pas si quelqu’un a compris mais visiblement, ils ont compris que je n’étais pas spécialement là pour faire un long discours et ils reviennent au déroulement de la rencontre.
J’ai l’impression qu’il y a des thèmes aux réunions, que ces thèmes correspondent aux « douze étapes » ou « douze traditions » que j’ai pu lire sur des affichettes dans le couloir. Je ne sais pas s’il y a une différence, je n’ai pas envie de poser de questions.
Aujourd’hui, il semblerait qu’on va parler d’ « amende honorable ».
Il ne s’agit pas d’un débat, ni même d’un échange. Une personne prend la parole, les autres l’écoutent. C’est long, c’est court, c’est clair, c’est embrouillé, c’est intéressant, ça ne l’est pas, dans le sujet, un peu à côté, on écoute.
Chaque prise de parole, ils appellent ça un « partage » est précédé d’un « bonjour, je m’appelle Machin, je suis dépendant / dépendant abstinent, à ceci, depuis X semaines / mois / ans » ce à quoi on répond tous en cœur, comme à guignol, « bonjour Machin ».
Une fois ce rituel accompli, il faut écouter, on ne peut plus parler jusqu’à ce qu’il ou elle ait fini, je trouve cela dommage, j’aimerais poser des questions, relever un point précis, demander des précisions mais s’ils sont à l’aise, je me dis qu’à leur place, je ne supporterais pas d’être interrompu si j’arrivais à faire l’effort de parler de choses aussi intimes avec autant d’yeux qui me regardent. Alors j’écoute. Je vois les gens sourire, rire, hocher gravement la tête… Je me perds un peu dans certaines interventions / partages.
Quand quelqu’un a fini de parler, tout le monde dit à nouveau en cœur « merci Machin », je trouve cela un peu artificiel mais chacun ses rituels. Comme je n’ai rien dit, ma voisine se penche vers moi et m’informe du fait que la bienveillance est essentielle chez les NA. Elle ramasse une plaquette sur la table et me la tend. Comme je ne la prends pas, elle la pose devant moi. Je partirai avec.
A partir de là, je perds le fil des partages, j’ai chaud, mon cerveau s’emballe, je ne m’arrête que sur des morceaux de phrases, j’entends parler d’immédiat, de moment présent d’un jour à la fois.
Une autre phrase atteint mon cerveau « un dépendant seul est un dépendant mal accompagné », la solitude vs les partages. Il n’y a pas de réponses à ce qu’ils appellent « partages », je ne vois pas la différence avec les discours que je me tiens tout seul dans ma tête.
Les événements de la veille et l’actualité sont évoqués.
J’ai l’impression qu’on est très loin de l’amende honorable, en tout cas, moi, j’en suis à des années lumières.
J’atterris enfin en entendant des pièces tinter. Une boîte à sucres métallique circule et les gens y déposent pièces ou billets. Merde, merde, merde, qu’est-ce que je fais ? Je n’ai que des pièces, je ne veux pas tout mettre mais avec quelques centimes, je vais avoir l’air d’un con mais qu’est-ce que j’en ai bien à faire de ce qu’ils pensent de moi ? Qu’est-ce que je fais ? Si je donne quelque chose ça veut dire que je veux revenir, est-ce que je veux revenir ? Si je ne donne rien, ça veut dire que je ne reviendrai pas, est-ce que je reviendrai ? Je fais quoi, je fais quoi, je fais quoi ?
Mon cerveau est coincé en mode questions et il a perdu les réponses. La boîte arrive devant moi, personne ne me regarde, j’hésite, je sors deux pièces de ma poche et j’essaie de les poser doucement au fond de la boîte pour qu’elles ne fassent pas de bruit. J’ai l’impression qu’elles résonnent comme des cloches. Pendant ce temps, le leader parle de calendrier, de dates, de sujets.
Les chaises commencent à bouger mais le leader lève la main et fait un dernier petit discours sur l’aide apportée par l’autre, l’oubli des individualités, le parrainage, j’ai l’impression qu’il s’adresse à moi. Je ne le regarde pas, j’ai la grattouille, la peau me pique…
Enfin, tout le monde se lève. Je voudrais partir en courant mais mes voisins me prennent les mains. Ils sont courageux !
En fait, tout le monde se donne la main et récite quelque chose. Ma voisine me fait signe que je ne suis pas obligé de le faire. Je n’en avais pas l’intention, j’entends parler de puissance supérieure, je pense à du lavage de cerveau et puis, les mains se lâchent, certains se prennent dans les bras, s’embrassent, se dirigent vers le samovar, je suis perdu. Mon voisin, celui qui m’avait accueilli me tend la main. Je la prends. Il me dit « à bientôt ». Je ne sais pas si c’est une question ou une affirmation. Je prends la plaquette que la femme m’avait donné et je ne sais pas comment, je me retrouve aussi avec les horaires et dates des réunions et je quitte la salle. Je fais un effort pour ne pas courir jusqu’à ce que je sois dehors. Dans la rue, je cours.
Voilà, j’ai essayé. Je ne sais pas encore ce que j’en pense, ni ce que je vais en faire.

 

 

La suite de mes aventures avec les NA.

 

Et pour les intéressés : http://www.narcotiquesanonymes.org/
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